La sirène à deux queues de Starbucks : enquête sur l’histoire d’un motif millénaire

façade d'un vieux starbucks ou l'on peut voir l'ancien logo

Aujourd’hui, on s’attaque à un gros morceau. Une étude sémiologique du logo de Starbucks.
Vous savez, ce logo vert sur fond blanc représentant, de loin une femme avec de longs cheveux.
Mais qui en réalité est  bien plus que ça..


D’où vient le nom Starbucks ?

Starbucks est une chaîne de café, maintenant multinationale, créée par une professeur d’histoire, un professeur d’anglais et un écrivain. Mais Starbucks, à l’origine, ne s’appelait pas comme ça. Starbucks s’appelait Pequod, du nom du navire de Mobydick.  On voit déjà une volonté de se relier à l’héritage culturel ici. Ce n’est pas étonnant lorsqu'on connaît les métiers des trois associés.

Le Pequod est décrit comme un vieux navire robuste, avec un aspect à la fois antique et imposant. Le bateau est décoré d'éléments faits de restes de baleines, comme des os et des dents de cachalots, ce qui lui donne un aspect sinistre et quasi surnaturel.  Cependant, ce nom ne plaisait guère au graphiste de la société. 

Ainsi, le nom a été changé pour Starbucks  qui n’est autre que le nom du tout premier matelot de ce navire. Starbuck est l'un des personnages principaux de Moby-Dick et le premier officier du Pequod. Il est un personnage complexe, représentant la raison, la prudence et la foi dans le roman. 

Même si l'entreprise n'a pas de lien direct avec le personnage ou l'intrigue de Moby-Dick, le nom "Starbucks"  confère à la marque un certain charme et un caractère littéraire. La femme avec de longs cheveux qui était mentionné auparavant, en réalité est une sirène à deux queues. Inspiration maritime donc, qui évoque des créatures mythologiques liées aux océans, renforçant ainsi l'identité de la marque avec une touche de mystère et d'exploration.

Le nom  "Starbucks” relie subtilement le café à ce sentiment d'aventure et d'exploration, à travers la référence littéraire à Moby-Dick, tout en créant une ambiance qui dépasse l'ordinaire et évoque l'histoire, le voyage et l'inspiration.

Fun Fact : la société d’Herman Melville a pris contact avec Starbucks pour leur faire savoir que le personnage ne buvait jamais de café. 

Et c’est bien cette idée de voyage que le logo était censé représenter. Car l’histoire de Starbucks commence à Seattle. Seattle n’est pas n’importe quelle ville pour notre analyse : c’est une ville avec un gros passé maritime. Et il fallait pouvoir retranscrire cet ADN subtilement.

C’est ainsi qu’entre en scène le designer Terry Heckler. Il choisit de passer en revue une quantité de livres anciens sur le monde maritime. C’est ainsi qu’il tombe sur une gravure de sirène à deux queues dans un ancien livre de tradition germanique. Et qu’il propose une première ébauche de logo.  Selon lui, la sirène est parfaite en ce qu’elle est séduisante et attire alors les amateurs de café. C’est expliqué sur le site internet de la marque. 

Terry a fouillé dans de vieux livres maritimes jusqu’à ce qu’une illustration attire son attention – elle représentait une sirène, une séduisante créature mythologique à double queue qui attirait les marins de passage vers leur perte grâce à son chant envoûtant. Au fil des années, la création originale de l’artiste a subi quelques transformations, mais son essence est restée la même. Elle est captivante, mystérieuse et, comme le dit Terry, « la métaphore parfaite pour le chant de sirène du café qui nous attire vers la tasse.

Que signifie l’étoile sur le logo de Starbucks ? 

En 1971, l’histoire de Starbucks prend un nouveau tournant lorsque Howard Schultz, déjà à la tête de la chaîne de cafés Il Giornale, décide de racheter l’entreprise. De cette fusion naît un logo inédit : les étoiles apparaissent, et la célèbre sirène voit sa nudité recouverte par de longs cheveux. Puis, avec l’entrée en bourse, le logo évolue à nouveau, mettant cette fois-ci la sirène en gros plan. En 2011, le design s’adapte à la tendance minimaliste, et les mots “Starbucks” et “Coffee” disparaissent pour laisser toute la place à la sirène. 

Mais il n’y a pas qu’une sirène sur le logo, il y a aussi une étoile, un élément récurrent et essentiel dans les différentes versions du logo. La signification n’a pas été communiquée par l’entreprise mais nous pouvons en faire une lecture sémiologique. 

Si nous restons dans l’univers maritime, l’étoile peut être considérée comme très importante, car elle est ce qui permet aux marins de se repérer. 

Les marins s'appuyaient traditionnellement sur les étoiles pour s'orienter pendant leurs voyages. L'étoile sur le logo pourrait ainsi évoquer ce lien avec l'exploration, les aventures en mer et le voyage. Cette technique, appelée la navigation astronomique, permettait de déterminer la position d'un navire en fonction des astres.

Aussi, en lien avec la sirène du logo, l'étoile pourrait également être interprétée comme un élément mystique ou surnaturel, évoquant la magie et le charme des créatures marines légendaires. Les sirènes, dans la mythologie, sont souvent associées à des pouvoirs envoûtants et à la beauté mystérieuse des océans. L'étoile au-dessus de la sirène peut donc renforcer l'idée d'un attrait captivant et d'une invitation à l'imaginaire.

Enfin,  de façon plus globale, si l’on pense à la “mission” de Starbucks, l’étoile peut être synonyme d’excellence : dans de nombreux contextes, l’étoile est associée à la qualité, l'excellence ou le prestige. Placer une étoile sur le logo peut renforcer l'image de Starbucks comme une marque premium, visant à offrir une expérience de café exceptionnelle. 

Pourquoi le logo Starbucks possède-t-il une sirène à deux queues ? 

Depuis des siècles, des millénaires même, on rencontre la sirène dans les arts et la littérature.  De celles d’Ulysse aux sirènes médiévales du roman Eledus et Serene, en passant par La petite sirène d’Andersen pour arriver jusqu’à nous avec le film de Walt Disney, ou la réécriture fascinante de Guillermo Del Toro La forme de l’eau.  Mais les sirènes n’ont pas toujours été figurées de la même manière, et c’est bien ça qui nous intéresse. Attention, ni son étymologie comme nous l’avons vu, ni son origine n’apportent de consensus, nous nous apprêtons donc à entamer un voyage périlleux. 

 l’Antiquité les représente sous forme de femme-oiseau, ou comme des femmes humaines séduisantes : c’est une représentation commune, notamment sur les vases antiques. C’est l’auteur Isidore de Séville qui nous le fait constater. 

Il existe en Arabie des serpents ailés appelés sirenae, qui sont plus rapides que les chevaux et qui volent même aussi, dit-on ; leur venin est si prompt que la mort précède la douleur de la morsure. 

À partir du 12eme siècle, elles sont pourvues d’une queue de poisson bifide, c'est-à-dire fendue en deux, exactement comme sur le logo Starbucks, et avec une longue chevelure. Ces figures-là, on peut même et surtout les retrouver en Auvergne ! Car l’architecture, au Moyen-âge, se fait “livre” pour ceux qui ne savent pas lire. 

La question que l’on peut alors se poser concernant les différentes représentations  est la suivante :  comment passe-t-on d’une représentation à une autre ? Et qui est la sirène figurée par Starbucks ? 

Selon Elise d’Inca, il semble que la sirène ailée antique fut trop proche, par ses ailes, de la figuration des anges et provoquait ainsi la confusion. C’est de cette manière qu’elle “chute” dans un bestiaire infernal. Elle se voit fermer les portes du ciel et doit aller se réfugier dans les mers. 

Alors, elle deviendra la guide au milieu de ces immenses étendues d’eau et agira en qualité de psychopompe (figure  spirituelle dont le rôle est d’accompagner les âmes des défunts vers l’au-delà). Et d’abord pourvue de deux queues, ce qui évoque sa posture ambivalente à la fois de créature séductrice, qui la fait appartenir au bestiaire infernal, mais également de guide, parfois considérée comme maternelle par les germano-scandinaves. 

On retrouve ces sirènes surtout dans des édifices romans (comme ceux présents en Auvergne notamment) et selon Elise d’Inca, elles s’imposent comme le symbole des vices humains et des dangers menaçant l’âme du chrétien. 

Mais c’est le Liber Monstrorum qui nous propose la première description d’une sirène à queue de poisson et qui l’inscrit alors dans la mer ! 

Petit zoom sur l’étymologie du mot monstre : du latin munstrum qui veut dire “montrer”, ils sont ceux que l’on montre du doigt, que l’on marginalise. Ce sont des créatures qui dérangent l’ordre établi, souvent dans le mauvais sens du terme. 

Loin d'être un simple logo, cette figure mythologique et ces références culturelles confèrent à Starbucks une profondeur qui va bien au-delà de la simple vente de café. Ce mélange d'éléments maritimes et de légendes européennes enrichit l'identité de la marque, faisant de chaque tasse une invitation à voyager dans un imaginaire partagé.

Cet article et cette analyse, nous l’espérons, vous auront embarqués dans une histoire où le mythe, le mystère et le quotidien se rejoignent. 



Nota bene
: de nombreuses études mentionnent Mélusine lors de l’étude du logo de Starbucks mais il s’agit d’un abus de langage. Mélusine est une femme qui a la capacité de se métamorphoser. Si vous souhaitez la trouver, elle apparaît surtout dans un grand roman Le Roman de Mélusine, écrit par Jean d'Arras au XIVe siècle. Selon les versions, elle est à moitié serpent, à moitié poisson. La raison de cet abus de langage est que Mélusine laisse une telle impression à travers les siècles que son nom est utilisé pour désigner une sirène dans des armoiries quand elle paraît se baigner dans une cuve. En référence à son histoire qui dit qu’elle se métamorphose cachée de son mari les samedis, justement en prétextant qu’elle prend son bain.   Mais si elle a effectivement un lien avec l’eau,  Mélusine n’est pas vraiment une sirène.
Il serait donc plus juste de ne pas utiliser ce nom lorsque l’on parle de sirène de Starbucks. 



Sources et à propos :


1. https://archive.starbucks.com/record/the-story-of-the-siren


2. Pour une étude approfondie sur le sujet, voire l’article La sirène médiévale, des bestiaires à l’Art roman auvergnat d’Elise d’Inca sur lequel nous nous basons pour cette partie.

3. Isidore de Séville (vers 560-636) est un érudit, théologien et évêque hispano-romain considéré comme l’un des plus grands savants de l’Antiquité tardive et du début du Moyen Âge. Né à Carthagène et élevé à Séville, il devient évêque de Séville en 600 et y reste jusqu’à sa mort. Il est surtout connu pour son ouvrage encyclopédique Etymologiae (ou Les Étymologies), une vaste compilation de savoirs de l’époque, qui fut l’un des textes les plus influents du Moyen Âge occidental. Ici nous utilisons la traduction de André Jacques du volume consacré aux animaux de 1986 p.8.

4. À ce sujet il est intéressant de découvrir tous les noms que possède l’eau dans ces cosmogonies, notamment les filles de Ran et Aegir. Ran a neuf filles, chacune représentant une vague, souvent nommées dans la poésie nordique. Comme des vagues qui se montrent tour à tour séduisantes ou mortelles, elles incarnent l’imprévisibilité de la mer et rappellent la capacité des sirènes à charmer et à causer la perte.

5. Le Liber Monstrorum, ou Livre des Monstres, est un texte médiéval latin qui catalogue divers créatures mythiques, humaines et animales, en détaillant leurs caractéristiques et particularités étranges. Daté d’environ le VIIᵉ ou VIIIᵉ siècle, ce livre est l’une des premières tentatives d’encyclopédie de créatures fantastiques en Europe. Ici nous utilisons la traduction de Berger de  Xivrey Jacques, dans l’édition de 1836 p.126-127. 

Photo couverture : Dominik Pearce



Article rédigé par la Sémiologue Léah Thomas-Bion avec ❤️ pour GAX